Les multiples enjeux pour un monde du travail plus sûr et plus sain
Le monde du travail se réinvente à toute vitesse. Les services de S&ST doivent non seulement rester en phase, mais aussi anticiper les évolutions de manière à assurer la sécurité des travailleurs.
Attribuer à la pandémie de COVID-19 l’importance accrue aujourd’hui accordée à la santé et à la sécurité au travail (S&ST) est une hypothèse tentante. Dans de nombreux organismes, la pandémie a effectivement mis l’accent sur la gestion de la santé et de la sécurité au travail, mais ce domaine d’action va rester au premier plan tout au long de la prochaine décennie en raison d’autres enjeux.
Il faut de surcroît prendre en compte d’autres facteurs, notamment le changement climatique, l’évolution du monde du travail avec le télétravail, l’attention à porter au bien-être mental et les modèles d’emploi flexibles typiques de la « gig economy » (économie du travail à la prestation). À cela viennent s’ajouter des tendances plus générales telles que les nouvelles technologies et l’évolution démographique.
L’évolution des attentes de la société a également un effet, comme en témoigne la déclaration de l’Organisation internationale du travail en 2022, selon laquelle un milieu de travail sûr et salubre est un principe et un droit fondamental au travail. La santé et la sécurité au travail sont également un élément clé de l’engagement d’une organisation envers l’aspect sociétal de l’investissement environnemental, social et de gouvernance (ESG). L’avancement des aspects relatifs à la diversité et à l’inclusion constitue également un enjeu pour le management, où une approche unique ne permet pas de répondre de façon satisfaisante aux besoins individuels des travailleurs.
Santé et bien-être psychologiques
Bon nombre des défis immédiats posés par le COVID-19 en matière de S&ST sont maintenant atténués, mais il reste un certain nombre de répercussions, dont la plus notable est peut-être la sensibilisation accrue des travailleurs à l’impact potentiel du travail sur leur santé et leur bien-être psychologiques. Cette prise de conscience suscite une attente de leur part et ils considèrent que les organisations pourraient et devraient faire davantage pour gérer cet impact – en parallèle aux obligations qui leur incombent déjà en ce qui concerne la santé et la sécurité physiques des travailleurs.
Cette question a fait l’objet de nombreuses discussions et diverses orientations sont disponibles ISO 45003, par exemple, est une Norme internationale qui fournit des lignes directrices pour la gestion des risques psychosociaux applicables aux organisations de toutes tailles.
Il est clair que le travail peut influer négativement le bien-être des personnes – que ce soit en raison du mode d’organisation du travail, de facteurs sociaux ou de certains aspects de l’environnement de travail. Néanmoins, même s’il est prouvé que des mesures efficaces peuvent améliorer la santé mentale, la satisfaction au travail et la productivité, on ne sait pas exactement combien d’organisations ont déjà adopté des démarches dans ce sens.
En fait, on commence seulement maintenant à comprendre l’ampleur du problème. Le dernier World Risk Poll sondage mondial sur les risques de la Lloyd’s Register Foundation a révélé que la violence et le harcèlement sur le lieu de travail sont endémiques et persistants au niveau mondial, une personne sur cinq ayant subi une forme de violence ou de harcèlement au travail au cours de sa vie. C’est pourquoi les organisations doivent se pencher sur leurs valeurs, leurs structures sociales et l’environnement qu’elles offrent à leurs travailleurs afin de faire face à ces risques endémiques.
Changement climatique
Le changement climatique a déjà un impact sur des millions de travailleurs à travers le monde. Les manifestations du changement climatique dont la presse se fait le plus largement l’écho sont principalement les événements météorologiques extrêmes (chaleur, froid, vent et pluie), dont les effets ne concernent pas exclusivement les personnes qui travaillent en extérieur. Mais les conséquences du changement climatique vont bien au-delà des conditions météorologiques et incluent des effets à long terme sur la biodiversité, les réserves hydriques et alimentaires, la résilience requise de nos infrastructures et les moyens par lesquels nous produisons notre énergie. Les mesures indispensables à la fois pour réduire les émissions et pour adapter notre monde aux changements déjà inéluctables ouvriront la voie à de nouvelles technologies, de nouveaux métiers et de nouvelles méthodes de travail, qui présenteront tous des dangers et des risques distincts.
À l’heure actuelle, il semble que, pour de nombreuses organisations, les effets du changement climatique sont encore traités comme des événements « ponctuels », et que relativement peu d’entre elles envisagent de manière proactive l’éventail complet des effets possibles sur la santé et la sécurité de leurs travailleurs. Il faut faire davantage pour sensibiliser les organisations à cette question. Au sein de l’ISO/TC 283 – le comité technique en charge de la normalisation dans le domaine du management de la santé et de la sécurité au travail – nous avons formé un nouveau groupe spécialisé pour attirer l’attention sur cette question et élaborer des lignes directrices afin d’aider les organisations à relever ce défi.
Nouvelle technologie
En ce qui concerne la S&ST, les progrès technologiques présentent à la fois des risques et des opportunités. Il est possible qu’ils ouvrent de nouvelles capacités qui aideront à mieux gérer la santé et la sécurité sur le lieu de travail. Ainsi, l’interaction avec des machines et des robots dont les services évoluent sans cesse avec l’apprentissage automatique, peut présenter de nouveaux risques ou des risques accrus. À l’inverse, la possibilité de remplacer l’intervention humaine dans des environnements dangereux par le recours à des drones et à des robots nous permettra de réduire les risques, à condition que tous les éventuels risques consécutifs à un piratage ou à un dysfonctionnement puissent être résolus.
Dans le même temps, les équipements de protection individuelle (EPI) intelligents, les dispositifs portables et d’autres technologies de surveillance fourniront au travailleur une protection physique supplémentaire, et le travailleur et son environnement de travail s’inscriront ainsi dans un réseau connecté en temps réel. La réalité virtuelle offrira de nouvelles possibilités de formation et de développement des capacités dans le domaine S&ST.
Changement démographique
Les changements démographiques en milieu de travail devraient s’accélérer dans les années à venir. Dans certains pays la population diminue, dans beaucoup d’autres, elle vieillit. À l’inverse, certains pays, en particulier en Afrique, voient leur population augmenter, avec une majorité de jeunes. Dans bien des pays, davantage de personnes continueront probablement à travailler jusqu’à un âge avancé, les femmes seront plus nombreuses à travailler, et il sera plus largement fait recours à des travailleurs migrants ou immigrés susceptibles de posséder différents niveaux de compétences linguistiques dans la langue de travail locale.
La fourchette d’âge de la main-d’œuvre sera plus large que jamais, avec des écarts plus importants entre les styles d’apprentissage, les niveaux d’alphabétisation et les modes de consommation de l’information. Du point de vue de la S&ST, ces changements forceront les organisations à accorder plus d’attention à la diversité au sein de la main-d’œuvre et aux besoins individuels des travailleurs. La question se posera de savoir comment intégrer, former, développer et communiquer avec des personnes de milieux aussi divers.
En parallèle à ces changements démographiques, nous constatons une évolution des attitudes à l’égard du travail et des attentes en matière d’emploi. Les jeunes générations de travailleurs envisagent l’emploi très différemment de leurs aînés – ils prévoient rarement de rester longtemps chez le même employeur et sont moins préoccupés par la sécurité de l’emploi, préférant une plus grande diversité dans leur carrière, ou s’attendant à ce que ce soit le cas. Ils veulent travailler pour des organisations dont l’objectif et les valeurs leur correspondent, et ils ont des attentes claires quant à leur mode de gestion et de développement.
Pour attirer et retenir les talents de la jeune génération, les organisations devront répondre à ces attentes, en se préparant à une plus grande rotation de personnel, avec les défis que cela implique pour le maintien des compétences et des performances en matière de S&ST.
La contribution de l’ISO
Bon nombre des enjeux et des tendances qui marquent la S&ST, aujourd’hui et à l’avenir, ont une portée mondiale. La collaboration internationale est donc indispensable pour assurer les progrès.
L’ISO est une plate-forme et un mécanisme puissant pour une telle collaboration : 73 pays participent actuellement aux travaux de l’ISO/TC 283 et 26 autres en observent l’avancement avec beaucoup d’intérêt. Nos travaux sont également facilités par dix organismes de liaison internationaux comprenant des organisations professionnelles et des représentants des employeurs et des travailleurs.
Cela permet de réaliser des progrès efficaces sous forme d’action. ISO/PAS 45005 est une spécification publiquement disponible qui donne aux organisations des lignes directrices sur la manière de protéger les travailleurs contre les risques liés au COVID-19. Le document a été publié rapidement dans les premiers mois de la pandémie et a permis de partager sans délai les recommandations et les bonnes pratiques. Ces recommandations viennent s’associer à la réglementation nationale quand il en existe une, et elles comblent les lacunes le cas échéant.
Ainsi, bien qu’il existe aux niveaux national et international de nombreuses sources établies de longue date et respectées fournissant des conseils et des orientations en matière de S&ST, je pense que l’ISO apporte une contribution distinctive grâce à la collaboration et à l’établissement d’un consensus international autour de ses normes et autres documents d’orientation en matière de S&ST.
À propos de Martin Cottam
Martin Cottam est spécialiste de la gestion des risques d’ingénierie. Il a passé une grande partie de sa carrière chez Lloyd’s Register, l’un des principaux fournisseurs mondiaux de services professionnels dans le domaine de l’ingénierie et de la technologie. Il est aujourd’hui consultant en systèmes de management qualité et S&ST, couvrant les questions de stratégie, de gouvernance et de mise en œuvre. Martin Cottam a contribué à l’élaboration de plusieurs normes applicables aux systèmes de management de la S&ST, notamment à la norme ISO 45001. Il est actuellement Président de l’ISO/TC 283, Management de la santé et de la sécurité au travail.