La sécurité sanitaire des aliments est une chose que nous tenons aujourdʼhui pour acquise. Lorsque nous parcourons les rayons bien approvisionnés de nos supermarchés afin de sélectionner produits et boissons pour notre marché hebdomadaire, nous supposons généralement que le contenu des emballages alimentaires présentés correspond aux informations sur les étiquettes – ou du moins nous lʼespérons. Si nous remettons rarement en question la provenance des produits que nous consommons, reste à savoir sʼils sont tous bien conformes à lʼidée que nous nous en faisons ?
Les conséquences de la fraude alimentaire coûtent aux détaillants intègres près dʼUSD 15 milliards par an.
Le scandale de la viande de cheval a ébranlé la confiance des consommateurs à lʼégard de lʼindustrie agroalimentaire. Il a braqué les projecteurs sur la question globale de la sécurité sanitaire des aliments et de la criminalité dans la chaîne alimentaire, en exposant les lignes de faille potentielles dans les filières dʼapprovisionnement toujours plus complexes de lʼindustrie agroalimentaire, qui ouvrent une formidable brèche aux délinquants.
Cʼest lʼEurope tout entière qui a été touchée par ce scandale impliquant un large éventail de produits carnés – des plats préparés aux hamburgers – dans lesquels ont été retrouvées des traces de viande de cheval ou de porc. Lʼaffaire a éclaté après que des tests ont été réalisés par lʼAutorité irlandaise de sécurité alimentaire (FSAI) sur une gamme de produits à base de viande commercialisés par les principales enseignes de distribution. Aucune opération de ce type nʼavait encore jamais été menée auparavant. En effet, qui aurait imaginé trouver de la viande de cheval ou de porc dans des produits étiquetés bœuf ?
Au Royaume-Uni, par exemple, un examen indépendant du système agroalimentaire effectué au lendemain de cette affaire a appelé à une réforme urgente de la surveillance de lʼensemble de la filière. Les recommandations de ce rapport ont abouti à la création de la National Food Crime Unit, une agence nationale chargée de la lutte contre la criminalité dans la chaîne alimentaire, qui travaille non seulement avec les forces de police dans le Royaume-Uni tout entier, mais également avec Europol et le Réseau anti-fraude alimentaire qui améliore la coordination entre les différentes autorités compétentes en matière de sécurité sanitaire des aliments dans lʼensemble de lʼEurope.
Lutte anti-fraude alimentaire
La fraude alimentaire ne date pas dʼhier et les sommes en jeu sont faramineuses. La Grocery Manufacturers Association, une association professionnelle de lʼagroalimentaire, estime que les conséquences de cette fraude coûtent aux détaillants intègres près dʼUSD 15 milliards par an. Si la falsification des ingrédients est monnaie courante dans le monde entier, lʼampleur de la fraude a de quoi interloquer. En Italie, par exemple, on rapporte que lʼhuile dʼolive extra-vierge de qualité dite supérieure serait parfois coupée avec de lʼhuile dʼolive bas de gamme ; aux États-Unis, lʼAgence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) avise les consommateurs que du fromage étiqueté « 100 % Parmesan » contiendrait en réalité des substituts bon marché, voire de la cellulose. Quand on nʼa pas injecté à ce délicieux poisson que vous aimez tant une solution dʼeau salée.
Frelater les aliments avec des ingrédients de moindre qualité est une chose, mettre en danger autrui en est une autre. Au début des années 1980, une fraude à lʼhuile de cuisine contaminée a ainsi coûté la vie à plusieurs centaines dʼEspagnols et, plus récemment, en Chine, du lait en poudre pour bébé adultéré par une substance chimique, la mélamine, a provoqué lʼintoxication et la mort de plusieurs milliers dʼenfants.
Ces dernières décennies, avec la complexité croissante des chaînes logistiques alimentaires, bon nombre de produits alimentaires sont aujourdʼhui amenés à franchir régulièrement les frontières nationales, créant un terrain plus propice à lʼexercice dʼactivités frauduleuses. Jugez un peu : selon un article du Financial Times, un cabillaud lambda peut effectuer plus de 15 000 km avant de finir dans votre assiette. Il a ainsi pu être pêché dans la mer de Béring, puis découpé et congelé dans une usine de lʼest de la Chine, expédié en cargo pour être transformé en Europe ou aux États-Unis, avant de terminer son parcours dans une cuisine de Moscou sous la forme de bâtonnets de poisson. Du bateau de pêche à lʼassiette, cette marchandise sera passée entre bien des mains différentes, laissant de nombreuses possibilités aux criminels de profiter du moindre maillon faible pour sʼinfiltrer dans la chaîne.
Face à lʼexplosion démographique – dans un monde toujours plus complexe et interconnecté – il semble évident, urgent et impératif de normaliser la réglementation à lʼéchelon international. Les fraudes alimentaires sont devenues plus sophistiquées et plus difficiles à détecter, confrontant les autorités de réglementation à un défi dʼautant plus important à relever. Après le scandale de la viande de cheval, par exemple, les autorités ont dû se démener pour organiser une approche coordonnée vis-à-vis de ces infractions. Une démarche qui nʼa pour lʼinstant abouti quʼà de rares poursuites en justice – voilà qui est encourageant pour les criminels.
Meilleures pratiques
Le défi est immense, entre les grands supermarchés qui stockent des milliers de produits alimentaires de tous types et les enseignes de distribution plus modestes qui nʼont pas les moyens de surveiller leurs chaînes dʼapprovisionnement. Face à lʼexigence croissante de produire une alimentation abordable, la tentation de rogner sur la santé, la sécurité et les contrôles qualité est toujours plus forte et entraîne, par voie de conséquence, une pression accrue sur les pouvoirs publics et les autorités de réglementation. Alors quels enseignements a-t-on retirés depuis 2013 et que peut-on faire pour rétablir la confiance ?
ISOfocus a demandé à des experts de lʼindustrie quels étaient leurs points de vue sur ces questions et ce quʼil fallait faire pour regagner la confiance des consommateurs et sʼassurer que les aliments que nous achetons sont sains et nutritifs. Ils nous ont également expliqué toute lʼaide que peut apporter la famille de normes ISO 22000.
Les organismes de certification jouent un rôle capital dans les initiatives visant à améliorer la sécurité des denrées alimentaires. Or, si la certification est un gage de qualité et de transparence accrues, est-elle pour autant une arme efficace pour lutter contre les fraudes alimentaires ? Le référentiel de certification de systèmes de management de la sécurité des denrées alimentaires (SMSDA) FSSC 220001) aide les entreprises à produire une alimentation sûre et à gagner la confiance des consommateurs. Ce référentiel a été conçu pour fournir aux entreprises de lʼindustrie agroalimentaire une certification de SMSDA fondée sur une norme ISO qui soit reconnue par lʼInitiative mondiale pour la sécurité alimentaire (GFSI) et qui prévoie lʼaudit par des organismes de certification accrédités selon ISO/TS 22003, qui comprend des exigences de la norme ISO/IEC 17021.
Aldin Hilbrands, Directeur technique à FSSC 22000, explique : « Nous soutenons les entreprises agroalimentaires en leur offrant les meilleures règles et réglementations énoncées dans le référentiel mondial de certification FSSC 22000, afin quʼelles puissent produire une alimentation sûre et sʼassurer la confiance de leurs clients. »
Pour M. Hilbrands, il ne fait aucun doute que lʼamélioration de la collaboration entre le secteur public et le secteur privé pourrait grandement contribuer à rétablir la confiance et à garantir la qualité et lʼintégrité des marques. Les autorités publiques et le secteur privé entendent de part et dʼautre protéger la santé des consommateurs, « mais dans beaucoup de pays, ces acteurs ne collaborent pas encore suffisamment, main dans la main, pour promouvoir la sécurité des denrées alimentaires de manière plus efficace et plus rationnelle ».
Compte tenu de la pression croissante qui sʼexerce sur les pouvoirs publics et les autorités de réglementation pour diffuser des normes relatives à la santé et à la sécurité, il est encourageant de constater que la Fondation FSSC 22000 est de plus en plus sollicitée par les gouvernements en Amérique du Nord et en Europe pour étudier des moyens plus judicieux de coordonner les efforts sur ces questions, ajoute M. Hilbrands. En outre, précise-t-il, « des procédures dʼaudit inopinées devraient bientôt être incluses dans le cycle de certification du référentiel », ce qui contribuera également à assurer lʼintégrité des produits.
Des lacunes dans le système
Le Registre national des professionnels de la sécurité sanitaire des aliments (NRFSP) est un autre organisme de certification américain accrédité pour élaborer et assurer des examens en vue de la certification des responsables de la sécurité des denrées alimentaires. Comme lʼexplique Lawrence Lynch, Président du NRFSP, le plus grand défi consiste à déterminer « comment, en tant quʼorganisme de certification, nous pouvons jouer un rôle pour promouvoir une culture de la sécurité des aliments au lieu de simplement nous cantonner à faire passer un examen ».
M. Lynch reconnaît lʼampleur du problème que pose la recherche dʼ« un terrain dʼentente dans le domaine de lʼalimentation » et relève que « le système alimentaire présente de nombreuses lacunes ». Il admet que la certification ne permettra jamais, à elle seule, dʼéviter des scandales analogues à celui de la viande de cheval mais que, lorsquʼelle sʼinscrit dans un système de management de la sécurité des denrées alimentaires plus large, elle confère aux titulaires dʼun certificat « lʼaptitude à mieux identifier les faiblesses inhérentes à la chaîne et de signaler les points, avant quʼils ne débouchent sur un scandale ».
Pour M. Lynch, le NRFSP a dʼautant plus de poids quʼil a sollicité et obtenu lʼaccréditation selon ISO/IEC 17024 pour son programme dʼexamen en vue de la certification des responsables de la sécurité des denrées alimentaires. « Même si les distributeurs ont été lents à adopter la certification de leurs personnels par des organismes accrédités selon ISO/IEC 17024, le NRFSP a pu amorcer le débat sur lʼintérêt de faire certifier le personnel par des organismes se conformant aux exigences dʼISO/IEC 17024 au niveau national. »
Accompagner les consommateurs
Bien entendu, tout débat sur la sécurité des denrées alimentaires et les fraudes doit nécessairement englober les consommateurs. Consumers International, la fédération mondiale des groupes de consommateurs, accorde une grande importance au rôle joué par ces derniers. ISO 22000 aide les fabricants à assurer la sécurité des denrées alimentaires et se fonde sur la traçabilité pour garantir lʼorigine des ingrédients. Les consommateurs assument néanmoins une part de responsabilité en matière de sécurité après lʼachat sʼils ne conservent pas correctement la nourriture en favorisant les contaminations croisées, en manquant aux règles dʼhygiène ou encore, en ignorant les indications des fabricants.
Sadie Homer, Conseillère principale en politiques pour la normalisation, Consumers International, et Philip Creed, expert qualité des aliments, Représentant des consommateurs aux comités de normalisation chargés des questions alimentaires de la BSI, du CEN et de lʼISO, estiment que cette responsabilité ne devrait pas être entièrement laissée aux organismes de réglementation publics et quʼil est essentiel de mieux sensibiliser et informer les consommateurs. « Lʼun des principaux défis est de mieux faire comprendre aux consommateurs les règles de base en matière de conservation des aliments à la maison – comment les stocker correctement, comment éviter les contaminations croisées, comment cuire les aliments ou réchauffer les plats préparés et comment éliminer en toute sécurité les déchets alimentaires. »
Ils ajoutent que le système de management de la sécurité des denrées alimentaires établi par la norme ISO 22000 « représente une aide en veillant à ce que les produits alimentaires commercialisés dans les supermarchés aient été produits dans des conditions réduisant au minimum les risques que des infections et des contaminations microbiennes ne pénètrent dans les cuisines des consommateurs ».
Selon Sadie Homer et Philip Creed, ISO 22000 a joué un rôle majeur pour aborder la question de la fraude alimentaire. « Depuis son introduction en 2005, la norme a été adoptée par plusieurs milliers de fabricants de produits alimentaires dans le monde entier et a servi de base à un grand nombre de systèmes de management de la sécurité des denrées alimentaires sur-mesure, offrant ainsi aux consommateurs une assurance supplémentaire que les produits alimentaires quʼils achètent ont été fabriqués en toute sécurité à partir dʼingrédients traçables. »
Y a-t-il intention de nuire ?
La famille de normes ISO 22000 qui est axée sur différents aspects du management de la sécurité des denrées alimentaires est sans conteste un outil efficace pour aborder ce sujet très complexe. Albert F. Chambers, Président de Monachus Consulting, cabinet de conseil spécialisé dans le secteur agroalimentaire, participe à lʼélaboration de la série ISO 22000 depuis septembre 2003 et a contribué en qualité dʼexpert et de responsable dʼune délégation nationale à lʼélaboration dʼISO 22000, dʼISO/TS 22003, dʼISO 22004 et dʼISO 22005. Pour lui, tout est affaire de confiance : « Que lʼon se place dans une perspective locale ou mondiale, lʼactivité agroalimentaire repose en grande partie sur la confiance. Les normes de systèmes de management de la sécurité des denrées alimentaires telles quʼISO 22000 sont des instruments dʼapplication volontaire que les entreprises du secteur peuvent utiliser pour rehausser ce niveau de confiance. »
M. Chambers fait une distinction entre le cas de « lʼadultération intentionnelle ou la déclaration inexacte dʼaliments ou dʼingrédients, dans lʼintention de réaliser un gain économique » et celui de « la contamination ou lʼadultération intentionnelle, dans lʼintention de nuire à la santé publique et/ou de perturber lʼéconomie ». Il ajoute quʼil existe des approches bien établies quʼune entreprise alimentaire peut adopter dans ce dernier cas – généralement appelées « mesures de prévention de lʼintroduction intentionnelle de dangers dans les denrées alimentaires » – et qui sont acceptées en tant que programmes prérequis dans le cadre des spécifications techniques de la série ISO 22002. Si le groupe de travail dʼexperts révisant ISO 22000 doit encore y incorporer les mesures quʼune entreprise agroalimentaire peut prendre pour lutter contre les fraudes alimentaires, il précise que la norme prévoit dʼores et déjà des dispositions définissant des procédures tout à fait applicables : « sʼinformer sur ses fournisseurs, établir des spécifications claires, exiger des certificats dʼanalyse de sources reconnues, etc. »
Produire une alimentation de qualité, nutritive et abordable pour une population mondiale de 7,4 milliards dʼindividus représentera toujours un immense défi. Aussi surprenant que cela puisse paraître, M. Chambers avance que la plus grande menace pour la sécurité des denrées alimentaires ne tient pas tant à la complicité criminelle, quʼà la contamination accidentelle. « Cʼest ce qui se produit lorsque les entreprises agroalimentaires ne se sont pas dotées de bons systèmes pour se prémunir contre la contamination biologique, physique ou chimique, et lorsquʼelles ne mettent pas en œuvre ces systèmes de manière régulière. »
Dissiper les craintes alimentaires
La chaîne alimentaire est-elle devenue plus sûre, de la ferme à lʼassiette ? Si le scandale de la viande de cheval nʼa pas donné lieu à beaucoup de poursuites judiciaires, il aura malgré tout été riche dʼenseignements pour lʼensemble des parties prenantes intervenant dans le secteur agroalimentaire. La criminalité dans la chaîne alimentaire est désormais un risque connu pour les entreprises. Les autorités compétentes dans lʼensemble de lʼUE, par exemple, collaborent plus étroitement sur la question de la fraude alimentaire, et il existe une plus grande volonté de sensibiliser les consommateurs aux règles dʼhygiène alimentaire et dʼaméliorer lʼétiquetage des produits. Lʼensemble de ces mesures, conjuguées à la certification des entreprises du secteur et à la mise en œuvre de Normes internationales, peuvent contribuer à atténuer les risques.
Sʼil ne fait aucun doute que dʼautres scandales comme celui de la viande de cheval pourront un jour faire surface, M. Chambers estime néanmoins que la série ISO 22000 devrait contribuer à tous nous rassurer lors de notre prochaine visite au supermarché.
« ISO 22000 est une norme de premier ordre, reconnue dans le monde entier » souligne-t-il. « Correctement utilisée et mise en œuvre, elle constituera la boîte à outils indispensable à toute entreprise intervenant à nʼimporte quel niveau de la chaîne alimentaire pour produire une alimentation sûre. Elle incorpore les meilleures pratiques en matière de management, les toutes dernières évolutions dans le domaine de la conception de systèmes de management de la sécurité des denrées alimentaires, des dispositions très efficaces en matière de communication interne et externe et met fortement lʼaccent sur la compétence du personnel et lʼamélioration du système sur la durée. » De quoi alimenter la réflexion.
1) Créée pour répondre aux besoins du secteur agroalimentaire international, la Fondation FSSC 22000 établit un référentiel indépendant fondé sur les normes ISO pour la certification et lʼaudit par tierce partie de leurs systèmes de management de la sécurité des denrées alimentaires. Le référentiel FSSC 22000 est pleinement reconnu par lʼInitiative mondiale pour la sécurité alimentaire (GFSI), une plateforme collaborative globale pilotée par lʼindustrie et visant à améliorer la sécurité sanitaire des aliments.